LEGENDES
La Légende d'Ambrosie Céline MANGIN et Audrey KOPP
Nous étions en hivers, au plus froid du mois de janvier. C'était
jour de marché à Bouzonville, le gros bourg au bourg de la Nied. Le froid piquait
cruellement.
Après avoir fait rapidement quelques emplettes, les commères des environs, venues
se raconter le dernières nouvelles des villages voisins, s'étaient réfugiées à
l'auberge " La croix Blanche ", autour d'une boisson revigorante. Leur maris les
avaient précédées. Le café était bondé.
Le cafetier était si occupé qu'il ne s'était pas aperçu que son chat, un gros
matou noir, se frottait contre des jambes des clients en ronronnant, quêtant
effrontément une gourmandise. Il glissait de table en table, vers un endroit où
la conversation était particulièrement animée. L'un des clients appela le tenancier
qui s'approcha, trébucha sur son chat, vacilla, retrouva miraculeusement l'équilibre e
t, furieux, houspilla le malheureux animal qui partit comme une flèche.
Assis à une table voisine, un étranger avait observé tout la scène. Il était
attablé avec deux bouzonvillois qui semblaient bien le connaître. Il s'adressa
au cafetier :
- pourquoi ne te débarrasses-tu pas de ce maudit matou ? Les chats noirs portent
malheur, tu ne le sais pas ?
Avant que le cafetier ,surpris, ne réponde, l'un des deux hommes chuchota :
- Tais-toi, malheureux ! On voit bien que tu n'est pas d'ici ! Tu ne sais pas ce
qu'on raconte dans le pays ?
Devant l'air intéressé de son amis, et surtout parce qu'un silence soudain avait
soudain envahi le café, il reprit, en élevant la voix, tout fier d'être devenu le
centre d'attraction des consommateurs :
- Quand j'était petit, ma grand-mère me racontait beaucoup d'histoires. Il y en a
une qui m'a particulièrement marquée et dont je me souviens bien aujourd'hui encore.
Cela se passait à Alzing, son village natal. A l'écart de cette bourgade s'élevait
une grande masure dont la grange avait brûlé quelques années plus tôt. Les herbes
folles avaient envahi les ruines. Personne n'osait s'en approcher, à part Ambrosie,
sa propriétaire, une vielle femme étrange, très étrange, qui y vivait seule. Elle
s'habillait bizarrement : elle aimait porter une très longue jupe ample qui balayait
le sol, un étroit corsage aux manches usées par les années, des vêtements aux
couleurs voyantes, je dirais même flamboyantes.
Elle jetait sur ses épaules un vieux chandail gris rapiécé de toutes parts. Ses
cheveux flottaient sur ses épaules, longs, crépus, d'un noir d'ébène. Sous son
front haut, parcheminé de fines rides, s'ouvraient deux grands yeux verts bordés
de longs cils noirs épais et recourbés. Son long nez étroit, cassé, séparait deux
pommettes haut placées. Ses lèvres, étroites et sèches, surmontaient un menton
pointu.
Etrange aussi ses faits et gestes ! Ecoutez donc un peu !
On la voyait sortir, les soirs de pleine lune, à la tombée de la nuit. Elle
traversait le village et prenait la direction de la forêt. A plusieurs reprises,
des jeunes gens, curieux et courageux, avaient tenté de la suivre, mais sans
aucun succès. Chaque fois, en arrivant à une clairière, elle leur avait faussé
compagnie, disparaissait sans laisser de trace. Malgré leur attente tenace, aucun
des guetteurs ne l'avait jamais vu rentrer de ses escapades nocturnes. Et pourtant,
au matin, elle était chez elle, et on la voyait qui déposait devant sa porte une
écuelle de lait pour tous les chats errants des environs.
Quand ils avaient fini leur lait, ils s'asseyez en rond, et Ambrosie s'installait
au milieu d'eux. Alors s'élevait un concert de ronronnements, de miaulements, de
cris inhabituels. Ils se parlaient pour sûr !
L'étranger l'interrompit :
- De toute façon, je n'y crois pas à tes sornettes. Toutes les vieilles bonnes
femmes s'occupent de chats qui leur tiennent compagnie. Et elles leur parlent,
sinon elles deviennent folles de ne jamais parler à personne. Des contes à
dormir debout, que tu nous dis là !
L'autre, contrarié, repris :
- Tu ne me crois pas ? Eh bien écoute celle-là ! Elle est aussi sur Ambrosie !
Tandis qu'il se désaltérait, le brouhaha avait repris dans la salle : on commentait
cette histoire incroyable et chacun y allait de son anecdote inouïe. Mais tous se
turent quand la voix du conteur s'éleva de nouveau :
J'adorais ma grand-mère, c'était une cuisinière hors paire ! J'ai encore sur la
langue le goût de ses pâtisseries !
Un jour que j'étais chez elle, le Jean, un grand paysan baraqué, une vraie armoire
à glace ! est arrivé en compagnie de mon grand-père. Il était rude, un peu bourru,
mais il savait bien raconter les histoires.
Les deux hommes revenaient des champs, et comme le Jean l'avait aidé à couper son
foin, grand-père l'avait invité à boire un verre. Je finissais mon gâteau quand
j'ai entendu dans leur conversation le nom d'Ambrosie :
- Grand-père, c'est qui, l'Ambrosie dont vous parlez ?
Mon aïeul a fait celui qui n'avait pas entendu, et il a continué à discuter avec
son amis. Mais le Jean m'a pris sur ses genoux :
- Ecoute, petit ! L'Ambrosie, c'est une femme étrange, très étrange. On raconte
de drôles de choses sur son compte.
Il y a quelques années, on voyait souvent, à la tombée de la nuit, un gros chat
noir qui se promenait dans les rues du village. C'était une grosse boule de poils
noirs avec des yeux verts éclatants. Si on essayait de l'attraper, il le savait
rapidement et disparaissait avec agilité. Pendant la journée, on ne l'apercevait
jamais.
Il avançait sans bruit et, parfois, entrait dans une étable. Les paysans entendaient
alors leur vaches meugler, mais ils n'arrivaient pas à entrer voir ce qui se passait,
car toutes les portes étaient comme bloquées. Au bout d'un moment, le calme revenait
et les portes restaient grandes ouvertes ; les vaches ruminaient tranquillement comme
si rien ne s'était passé. Le lendemain, cependant, elles ne donnaient pas de lait.
Et les paysans se lamentaient :
- Ce maudit chat noir a encore fait des siennes ! Comment allons-nous pouvoir manger,
maintenant ? Plus de lait, plus d'argent ! Plus d'argent, plus de pain ! si seulement
nous arrivions à l'attraper ! Mais il est malin, cet animal ! Il glisse entre les
doigts avec autant d'agilité qu'une vipère.
Sans me vanter, a continué le Jean en regardant mes grands parents, je suis un
excellent tireur : j'ai remporté plusieurs concours régionaux de tirs en tout
genre. Et cette sale bête avait souvent tété mes bêtes, laissant mes meilleurs
laitières sèches comme des taureaux !
J'ai ramassé un gros caillou et je me suis mis à l'affût près de l'étable. Quand
le chat est sorti, j'ai tiré, et, au milieu des ovations de mes camarades, j'ai
atteint ma cible. Le chat a miaulé horriblement, et il est parti d'un pas incertain,
en boitant : je l'avais atteint à la patte de derrière, la patte droite, je m'en
souviens bien ! C'est comme si c'était hier ! Il s'est éloigné vers la forêt.
Quelques heures plus tard, à la nuit tombée, l'épicier rentrait chez lui après
avoir réglé quelques affaires à son magasin. La lune brillait tellement qu'on
aurait pu lire le journal. Et qui voit-il sortir de la forêt, toute boitante et
cahotante ?
- L'Ambrosie, ai-je demandé ?
- Oui l'Ambrosie elle même, mon garçon. Voilà un petit gars malin, n'est-ce pas,
Vincent ?, dit le Jean en s'adressant à mon grand-père. Elle avait de la peine à
marcher cette vieille sorcière ! Sa jambe droite semblait toute raide, et elle
s'appuyait sur un bâton.
Le lendemain matin, alors que le Matz revenait de sa promenade matinale, il a vu
l'Ambrosie qui déménageait à la cloche de bois, entassant tous ses meubles sur
une vieille charrette empruntée à un voisin.
Etrange coïncidence : à partir de ce jour, quand Ambrosie fut partie, on ne revit
jamais le gros chat noir !
J'ai fini le gâteau qui était resté inachevé dans ma main pendant toute l'histoire
du Jean.
Tu vois que je ne te raconte pas de blagues, s'exclama en riant le raconteur en
tapant sur l'épaule de l'étranger. D'ailleurs, si tu viens à Alzing, on te racontera
bien des histoires au sujet d'Ambrosie, et on te soutiendra mordicus qu'elle vit
encore !
- Jeune homme, il ne faut jamais critiquer les chats noirs ! Ils cachent peut-être
un être humain, sait-on jamais ? Aubergiste, j'ai soif ! Sers nous encore une
tournée !
Les commentaires avaient repris de plus belle dans le café. C'est qu'on en connaît
des histoires de sorcières dans la région ! Et chacun voulait apporter son
témoignage !
Tout le monde se tut de nouveau quand l'étranger se leva, paya son écot et s'éloigna
avec une grâce féline. Il leur sembla soudain étrange, très étrange, avec ses yeux
verts étincelants.
Le chat du cafetier, ronronnant sur le seuil, le suivit longuement de son regard
énigmatique, jusqu'à ce qu'il ait disparu, absorbé par la foule.
Comment Diane fit les étoiles et la pluie Chapitre III de l'évangile des sorcières, Traduction française, Spartakus FreeMann (Juin 2002 e.v.)
Diane fut la première créée avant toute création ; en elle
étaient toutes choses ; à partir d’elle-même, Ténèbres Primordiales, elle se
divisa ; en Ténèbre & en Lumière fut-elle divisée. Lucifer, son frère & fils,
d’elle-même & de sa seconde moitié, était la Lumière.
Et lorsque Diane vit que la Lumière était si belle, la Lumière qui était sa
seconde moitié, son frère Lucifer, elle languît pour lui d’un immense désir.
Désirant recevoir à nouveau la Lumière en sa Ténèbre, désirant l’absorber en
extase, en délice, elle trembla de désir. Ce désir fut l’Aube.
Mais Lucifer, la Lumière, s’enfuit d’elle, & ne voulu pas accéder à ses désirs
; il était la Lumière qui file dans les régions les plus reculées des Cieux,
il était la souris qui file devant le chat.
Alors Diane se rendit auprès des Pères du Commencement, des Mères, des Esprits
qui étaient avant le Premier Esprit, & elle se lamenta auprès d’eux qu’elle ne
pouvait persuader Lucifer. Et ils la louèrent pour son courage, ils lui dirent
que pour s’élever elle devait chuter, que pour devenir la première des déesses
elle devait devenir mortelle.
Et dans les Ages, dans course du temps, quand le monde fut créé, Diane descendit
sur terre, comme le fit Lucifer, qui avait chuté, & Diane enseigna la Magie &
la Sorcellerie, dont proviennent les Sorcières & les Fées & les Goblins - tous
êtres à la ressemblance de l’homme bien qu’immortels.
Et il advint alors que Diane prit la forme d’un chat. Son frère avait un chat
qu’il aimait par dessus toutes les autres créatures, & le chat dormait chaque
nuit dans son lit, un magnifique chat plus beau que toutes les autres créatures,
une Fée, mais cela il ne le savait pas.
Diane persuada le chat de changer de forme avec elle pour qu’ainsi elle puisse
reposer avec son frère, & sans l’obscurité assumer sa propre forme, & ainsi
par Lucifer devenir la mère d’Aradia. Mais quand au matin il découvrit qu’il
reposait à côté de sa soeur, & que la Lumière avait été vaincue par la Ténèbre,
Lucifer en fut très contrarié, mais Diane lui chanta un sort, un chant de
pouvoir, & il fut silencieux, le chant de la nuit qui plonge dans le sommeil ;
il ne pouvait rien dire. Ainsi Diane avec ses dons de sorcellerie le charma
lui qui ne voulait pas céder à son amour. Cela fut la première des fascinations,
elle fredonna le chant, c’était comme un bourdonnement d’abeilles, un rouet
filant la vie. Elle fila les vies de tous les hommes ; toutes choses furent
filées sur le Rouet de Diane. Lucifer tournait la roue.
Diane n’était connue des Sorcières & des Esprits, des Fées & des Elfes qui
habitent les lieux déserts, des Gobblins, comme étant leur mère ; elle se
dissimula par humilité & fut mortelle, mais par sa volonté elle s’éleva à
nouveau au-dessus de tous. Elle avait une telle passion pour la Sorcellerie,
& devint si puissante, que sa grandeur ne pu plus être cachée.
Une nuit passa, à la réunion de toutes les Sorcières & des Fées, elle déclara
qu’elle obscurcirait les Cieux & transformerait toutes les étoiles en souris.
Tous ceux qui étaient présents dirent :
" Si vous pouvez produire une chose aussi extraordinaire, c’est que vous avez
du vous élever à un très haut niveau de puissance, alors vous serez notre Reine."
Diane se rendit dans la sue, elle prit la vessie d’un boeuf & un morceau d’écu
de sorcière qui a un côté comme un canif - avec un tel écu, les sorcières lacèrent
la terre dans les traces de pas des hommes - & elle lacéra la terre & avec cette
terre & de nombreuse souris elle en remplit la vessie & elle souffla dans la vessie
jusqu’à ce qu’elle éclate.
Et alors advint une grande merveille, car la terre qui était dans la vessie devint
les Cieux du dessus, & pendant trois jours il y eut une Grande Pluie ; les souris
devinrent les Etoiles & la Pluie. Et ayant créé les Cieux & les Etoiles & la Pluie,
Diane devint la Reine des Sorcières ; elle était le chat qui régnait sur les
Souris-Etoiles, les Cieux & la Pluie.